Nous voilà déjà au dernier article de notre série consacrée au « travail à distance. »
Au fil des semaines, nous avons commencé par définir les différentes caractéristiques du travail à distance.
Nous avons ensuite posé les enjeux organisationnels, puis les enjeux enjeux managériaux soulevés par cette nouvelle modalité d’organisation du travail. Nous avons montré l’intérêt de les identifier, mais aussi de les définir précisément dans votre réalité de travail.
L’objectif? Vous permettre de mettre en place ces nouvelles modalités d’organisation du travail de la manière la plus efficace possible.
Ce mois-ci nous allons nous attacher aux enjeux juridiques propres au télétravail, modalité de travail à distance spécifique.
Les ordonnances Macron ont certes assoupli les conditions du recours au télétravail. Elles permettent désormais effectivement au collaborateur de demander le télétravail lorsqu’il existe dans votre’entreprise ! Mais ce « droit » au télétravail nécessite quelques attentions et le respect d’un certain formalisme.
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Projetons-nous un peu. Vous avez déjà bien réfléchi à votre situation, aux demandes de vos collaborateurs, à vos besoins. Vous avez également pris le temps de concerter avec vos collaborateurs, vos managers. Les enjeux logistiques, les enjeux managériaux, les freins ont été identifiés, anticipés! Vous voilà prêt à vous lancer dans le travail à distance! Mais peut être seul le télétravail vous intéresse? Décryptons maintenant les enjeux juridiques propres que vous ne devez pas oublier de prendre ne considération.
Et un petit aparté juridique pour commencer
On commence par quelques références :
- Art. L1222-9 et suivants
- Accord national interprofessionnel étendu du 19 juillet 2005
Et en cadeau, une petite subtilité que je décode pour vous : les dispositions des ordonnances Macron n’ont pas abrogé cet “ANI” (Accord national interprofessionnel). Il est possible d’y déroger, y compris par des clauses moins favorables. Mais cela n’est possible que par accord collectif, dans le cadre de la primauté de la négociation collective de l’article L 2253-3 CT).
Et donc…? Parce qu’il vaut toujours mieux expliciter les évidences : souvenez-vous qu’une charte, n’étant pas un accord collectif, elle ne peut déroger à l’ANI !
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Mais revenons à nos moutons : comment mettre en place le télétravail en respectant le cadre juridique? Quel contenu prévoir? Quels principes retenir ? Et comment gérer le télétravailleur ? Voici les principaux enjeux juridiques du télétravail que nous développerons dans les paragraphes à venir.
Le cadre de la mise en place
Le principe
Le télétravail est donc mis en place par accord collectif ou charte après avis du CSE, compétent au titre des conditions d’emplois des salariés.
A défaut, il est convenu par tout moyen entre l’employeur et son collaborateur. Il peut être ainsi utilisé de manière exceptionnelle dans une structure qui ne l’a pas encore mis en place.
Mais vous l’aurez compris ce n’est pas très conseillé en tout cas de manière globale et durable…
Revenons plus en détail sur qui doit signer un accord collectif et qui peut édicter une Charte!
Le télétravail doit être mis en place par accord collectif (de branche ou d’entreprise). C’est le principe général. Ainsi, si vous ne disposez d’aucun accord de branche sur le sujet, vous devez entamer des négociations avec vos organisations syndicales.
Ce n’est qu’à défaut d’accord collectif ou en l’absence de délégué syndical que vous pouvez mettre en place de télétravail dans le cadre d’une Charte que vous aurez élaborée. Dans ce dernier cas, vous devrez au préalable impérativement consulter votre CSE (ou le CE si le CSE n’est pas encore en place dans votre entreprise).
Le contenu
L’accord collectif ou la Charte doivent contenir ou préciser les thématiques suivantes :
– Conditions de passage au télétravail, notamment lorsqu’il est exceptionnel (pollution, grève…) ;
– Conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail (période d’adaptation, délai de prévenance…) ;
– Modalités d’acceptation du collaborateur des modalités d’exercice du télétravail (écrites, n’est-ce pas?!) ;
– Modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;
– Détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut contacter le collaborateur en télétravail.
– Modalités d’accès des collaborateurs handicapés au télétravail.
Il est également (fortement!) recommandé d’intégrer dans l’accord collectif ou la Charte que le télétravail ne sera possible que si l’installation électrique existante chez votre collaborateur correspond aux normes en vigueur! Une attestation peut notamment lui être demandée en ce sens.
Le principe du volontariat
Le télétravail peut être acté lors de l’embauche ou au cours de la relation contractuelle. Dans ce cas, il doit faire l’objet d’un avenant au contrat de travail avec une période d’adaptation.
Concernant le refus pour un salarié de faire du télétravail, il est évident que vous ne pouvez pas vous en saisir comme motif de rupture, mais c’est toujours mieux en le rappelant 😉.
Quant à votre refus à vous en tant qu’employeur, il doit être motivé dès lors que votre collaborateur remplissait les conditions fixées par l’accord collectif ou la charte mettant en place le télétravail.
On peut noter qu’il existe une entorse au principe du volontariat : c’est lorsque le télétravail est « activé » à titre exceptionnel (épidémie, force majeure) pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés.
Le statut du télétravailleur
Ici aussi, c’est une évidence mais cela va toujours mieux en disant. Et je vous engage d’ailleurs à vous aussi l’expliciter dans votre entreprise, autant à destination des managers que des collaborateurs…
Ça permet de poser le cadre, mais aussi de rassurer !
Le télétravailleur a les mêmes droits et les mêmes devoirs que les salariés travaillant dans les locaux de votre entreprise. Vous avez un doute sur l’attitude de l’un de vos collaborateurs manager de télétravailleur ou télétravailleur ? Transposez-là en situation de travail en présentiel dans les bureaux et demandez-vous comment vous auriez réagi et si vous l’auriez accepté !
Des obligations spécifiques pèsent en revanche sur vous en tant qu’employeur :
– Informer les télétravailleurs sur les restrictions à l’usage d’équipements informatiques ou de services de communication électronique, et les sanctions découlant de leur non-respect ;
– Organiser un entretien par an avec chaque collaborateur exerçant en télétravail sur ses conditions d’activités et sa charge de travail,
– Prendre toute mesure nécessaire pour prévenir l’isolement du télétravailleur vis à vis de sa hiérarchie et de ses collègues,
– Prendre en charge les coûts directs liés à l’exercice du télétravail, en particulier ceux liés aux communications (ANI).
Enfin, pour rappel, l’ANI exige que les télétravailleurs soient identifiés comme tels dans le registre unique du personnel.
Quelques mots pour conclure cette présentation des enjeux du télétravail…
S’il ne s’est pas encore généralisé en France, il se développe vite et parfois de manière assez peu orthodoxe ! Il est aujourd’hui largement partagé que le télétravail permet de gagner sur plusieurs critères participant à la qualité de vie au travail : moins de temps de transport, plus d’autonomie sur l’organisation du travail, plus de confiance dans la relation manager/collaborateur.
Néanmoins, il ne faut pas non plus en avoir une vision idéalisée. Il existe de nombreux écueils si on n’organise pas sa mise en place et son fonctionnement. Ainsi, alors même que le télétravail s’inscrit souvent dans une démarche de recherche d’amélioration de la qualité de vie au travail et d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, il est aussi parfois pour les entreprises une manière d’accélérer le flex-office (pratique consistant à ne pas donner de bureaux fixes aux salariés) sans prendre en compte la transition et l’accompagnement qu’un tel changement nécessite.
Je prends le risque d’insister un peu!…
Une démarche vertueuse et solide dans le temps consiste à identifier les enjeux, les freins, les attentes, les craintes… propres à votre entreprise et à votre collectif et de concerter sur la manière de le mettre en œuvre : groupe de travail, phase test, période d’adaptation…
Ce sont autant de moyens de garantir la réussite et l’efficacité du dispositif.
Mettre en place une expérimentation vous permettra d’éprouver tous ces points et de pouvoir ensuite le déployer de la façon la plus optimale au regard de l’organisation de votre entreprise. A l’issue de l’expérimentation, recevez les salariés concernés, ainsi que leurs managers afin qu’ils vous fassent leur retour d’expérience. Vous pourrez ainsi installer le télétravail de manière plus durable en ayant une vision plus précise des effets induits par cette forme d’organisation, positifs comme négatifs.
Quelques bonnes pratiques à envisager
– Dissocier le travail à distance occasionnel et organisé : ils ne relèvent ni des mêmes enjeux, ni des mêmes règles d’organisation;
– Limiter le temps de travail à distance dans la semaine pour garantir un temps collectif présentiel minimum, notamment lors de sa mise en place.
– Organiser régulièrement des réunions avec toute l’équipe et en individuel avec les collaborateurs concernés pour faire le point sur le télétravail.
– Mettre en place des règles de fonctionnement stimulant la collaboration à distance.
– Planifier au maximum les jours de télétravail (constitue un repère pour le télétravailleur, le manager, l’équipe et les interlocuteurs d’autres services/prestataires/clients…)
– Mettre en place un rituel de fin de journée pour formaliser la fin du temps de disponibilité du collaborateur à son manager.
De nombreuses références aux bonnes pratiques existent, n’hésitez pas à y recourir : en vidéo, des guides pratiques avec notamment des grilles pour analyser la « télétravaillabilité » (joli mot n’est-ce pas?) d’un poste, d’auto-analyse de son poste de travail…